
Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir – La Recherche n°913, daté mars 2023.
L’agression russe contre l’Ukraine, en février 2022, a ravivé le débat sur le gaz de schiste. Pour sortir de leur dépendance à la Russie et diversifier leurs sources d’approvisionnement, les pays européens se ruent en effet sur le gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Stocké à -162 °C, celui-ci a l’énorme avantage de pouvoir être transporté par navire plutôt que par gazoduc, n’importe où, à condition de disposer de terminaux adaptés. La France comme l’Allemagne, la Finlande ou l’Estonie ont donc décidé d’investir dans de nouvelles infrastructures pour le recevoir, le stocker et lui faire reprendre sa forme gazeuse originelle afin de pouvoir l’injecter dans les réseaux de distribution.
Or, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ce GNL est issu pour environ 79 % de la transformation du gaz de schiste, interdit d’exploitation en Europe. Produit massivement outre-Atlantique depuis deux décennies, il a permis aux États-Unis de se hisser au premier rang des pays producteurs de gaz – devant la Russie et l’Arabie saoudite – et de s’acheminer vers l’autosuffisance énergétique.
Face à la crise énergétique actuelle, la tentation est grande en Europe de revenir sur les interdictions passées. Les uns s’interrogent : plutôt que de l’acheter, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le produire ? Les autres dénoncent un envers du décor peu glorieux pour l’environnement, le climat planétaire et la santé humaine. Promesse d’une énergie abondante et bon marché ou dangereuse alternative, le gaz de schiste continue de nourrir la polémique.
Un cocktail chimique
Le gaz de schiste est en tout point semblable au gaz naturel : il s’agit essentiellement de méthane. Cet hydrocarbure de formule chimique CH4 provient de la dégradation, durant des dizaines de millions d’années, de la matière organique piégée au sein d’une roche sédimentaire dite roche-mère. Lorsque celle-ci est poreuse et perméable, le gaz migre et s’accumule dans des réservoirs plus ou moins superficiels exploitables par des techniques conventionnelles (forage vertical). Mais il peut rester prisonnier d’une roche très peu perméable, généralement des argiles ou des marnes enfouies entre 1500 et 3000 mètres sous nos pieds, dans des pores nanométriques ne communiquant pas entre eux.
Les Anglo-Saxons parlent de shale gas (gaz d’argile). Ce que l’on a traduit par “gaz de schiste”, ce dernier mot étant à prendre dans son sens le plus large de roche sédimentaire litée à grains très fins, susceptible de se débiter en feuillets. Déloger ce gaz diffus au sein d’une roche très étendue et épaisse de plusieurs dizaines de mètres s’avère bien plus complexe et nécessite de combiner les deux techniques du forage dirigé et de la fracturation hydraulique.
Concrètement, un puits plonge à la verticale dans la couche de “schiste” qui se prolonge ensuite à l’horizontale sur plusieurs kilomètres. Piégé dans les pores de la roche, le gaz ne peut remonter naturellement. La fracturation hydraulique (fracking en anglais) va l’y aider. Celle-ci consiste à injecter d’énormes volumes d’eau sous haute pression (300 à 600 bars) pour ouvrir sur quelques centaines de mètres de part et d’autre du puits un réseau de microfissures à travers lesquelles le méthane va pouvoir circuler plus facilement. Cette eau est mélangée à du sable, pour éviter que les fissures ne se referment, et à une multitude d’additifs (les “surfactants”), destinés à optimiser le processus. Parmi eux, des lubrifiants pour faciliter la pénétration du sable dans les fissures, des gélifiants et épaississants pour accroître la viscosité du fluide de fracturation, ou encore des biocides pour éliminer les bactéries susceptibles de corroder les équipements. La nature de ce cocktail chimique varie selon les caractéristiques du milieu à fracturer (profondeur, porosité, etc.).
Une fois les opérations de fracturation terminées, les eaux usées (dites de reflux) sont en partie pompées et récupérées (jusqu’à 80 %). Elles peuvent alors être acheminées vers des stations d’épuration pour être dépolluées afin de pouvoir être utilisées en agriculture ou rejetées dans les cours d’eau. Mais le plus souvent, elles sont soit traitées localement par floculation et décantation dans des bassins et recyclées dans d’autres puits de forage, soit transportées par camion et réinjectées telles quelles dans le sous-sol, au sein de puits profonds voués à cet usage. Le gaz de schiste, lui, peut alors remonter vers la surface. Les taux de récupération, entre 20 et 40 %, restent largement inférieurs à ceux du gaz conventionnel (60 à 95 %) pour un coût de production en moyenne 20 % supérieur.
Des risques environnementaux et sanitaires qui inquiètent
Si le gaz de schiste est si décrié, c’est que son exploitation comporte (comme celle du gaz conventionnel) des risques avérés pour l’environnement et la santé humaine. D’abord, elle défigure les paysages. Chaque puits permet d’extraire le méthane sur quelques kilomètres carrés seulement de part et d’autre du forage horizontal, et s’épuise vite. La production des puits chute en effet très rapide ment – de 50 à 70 % en moyenne – dès la première année, contre 10 % par an pour son équivalent conventionnel.
Un paysage défiguré par le champ gazier Jonah, dans le Wyoming (États-Unis). La multiplication des puits de forage s’explique par le fait que leur production chute de 50 à 70 % dès la première année. Crédit : ECOFLIGHT
“Pour maintenir la production à un niveau constant, il faut donc sans cesse en ouvrir de nouveaux “, relève Thomas Lauvaux, de l’université de Reims Champagne-Ardenne. Conséquence directe : les grandes plaines et les forêts de Pennsylvanie, du Texas ou du Dakota du Nord, aux États-Unis, sont grignotées sur des millions d’hectares par les puits, les gazoducs, la trame dense de routes d’accès et les énormes bassins de décantation, où l’eau remontée des profondeurs est traitée. Il en résulte une fragmentation accrue des milieux naturels, dommageable pour la biodiversité.
Des études menées ces dernières années aux États-Unis ont montré que le morcellement des forêts induit par l’exploitation du gaz de schiste a, par exemple, des répercussions sur la distribution des passereaux nicheurs. Laura Farwell, de l’Université du Wisconsin, et ses collègues ont suivi 27 espèces des bassins de Marcellus et d’Utica, dans le nord-ouest de la Virginie. Entre 2008 et 2017, les espèces synanthropes (vivant à proximité des humains) comme le vacher à tête brune (Molothrus ater) qui parasite les nids des autres oiseaux, sont devenues majoritaires à proximité des sites de forage. A contrario, les espèces forestières se sont raréfiées.
Les détracteurs dénoncent aussi les quantités phénoménales d’eau nécessaires à la fracturation : 10.000 à 15.000 m3 en moyenne par forage (soit trois à cinq piscines olympiques), au détriment des usages agricoles et résidentiels, même si une partie peut être récupérée et recyclée. Et, surtout, la contamination possible des nappes phréatiques et des eaux de surface. En 2013, une équipe américaine dirigée par Robert Jackson, de l’Université Duke, a détecté du méthane dans 82 % des 141 puits utilisés par les familles vivant dans le bassin de Marcellus, au nord-est de la Pennsylvanie. Les puits situés à moins de 1 kilomètre d’un site d’extraction affichaient des concentrations six fois supérieures à la moyenne observée sur l’ensemble des puits. Elles dépassaient dans la majorité des cas 10 milligrammes de méthane par litre, le maximum acceptable selon les autorités américaines. Du propane et de l’éthane ont également été retrouvés.
On sait aujourd’hui que ces contaminations sont dues, non pas à la fracturation hydraulique elle-même, mais à des défauts d’étanchéité du tubage en ciment et du cuvelage qui entourent le forage vertical. “Techniquement, ces fuites sont en grande partie évitables à condition d’y mettre les moyens. Malheureusement, les entreprises recherchent avant tout la rentabilité. Le coût de production d’un puits se chiffre en millions de dollars. Obligés de multiplier leur nombre pour extraire une quantité de gaz à peu près constante dans le temps, à un prix compétitif par rapport au gaz conventionnel, ils ont tendance à limiter les dépenses, prenant moins de précautions, notamment lors de la réalisation des opérations de contrôle de l’étanchéité. Avec la crise actuelle, la ressource est devenue plus rare et le coût de production du gaz de schiste plus compétitif. Mais les puits déjà forés sont toujours là…”, note Gilles Pijaudier-Cabot, professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, et directeur du projet E2S (Energy Environment Solutions).
Des risques sismiques avérés
L’Institut de géophysique américain a fait le lien entre la réinjection dans le sous-sol des eaux usées issues de la fracturation hydraulique et la hausse significative du nombre de séismes dans certaines régions des États-Unis. Dans l’Oklahoma par exemple, le nombre de secousses de magnitude supérieure ou égale à 3 est passé de moins de deux par an avant 2009 à plus de 900 en 2015. Si la plupart sont à peine ressenties par les populations, d’autres occasionnent des dégâts matériels (murs lézardés, effondrés, fenêtres désaxées…). C’est le cas par exemple du séisme de magnitude 5,6 qui a touché la ville de Prague (Oklahoma) en 2011 ou de celui de magnitude 5 au Texas, qui, en mars 2020, a été ressenti jusqu’à El Paso, à plus de 280 km de son épicentre. L’injection des eaux usées dans le sous-sol modifie la répartition des contraintes s’exerçant le long des failles avoisinantes, augmentant la probabilité d’une rupture.
Les effets sur la santé sont de mieux en mieux documentés
Autre motif d’inquiétude : les dizaines voire centaines de substances chimiques injectées en profondeur lors de la fracturation hydraulique et qui peuvent venir elles aussi contaminer les eaux destinées à la consommation humaine. Ces contaminations sont le plus souvent accidentelles – les eaux de reflux peuvent par exemple déborder des bassins de rétention et se déverser in fine dans les cours d’eau, les camions les transportant vers les puits de réinjection se renverser, etc. – et ne font pas l’objet de déclarations obligatoires.
“Le problème est qu’aucune loi fédérale n’oblige pour l’instant les exploitants à révéler la nature des additifs utilisés, au nom du secret industriel “, pointe la toxicologue américaine Linda Birnbaum, ancienne directrice du National Institute of Environmental Health Sciences. En septembre 2022, l’Association des médecins pour une responsabilité civile (Physicians for social responsibility) a ainsi révélé qu’au Colorado et dans l’Ohio, certaines compagnies utilisent depuis des années des per- et polyfluoroalkyles (ou PFAS) – surnommés “polluants éternels” – et ce, avec l’aval de l’Agence de protection de l’environnement. Or “ces substances sont associées, même à très faible concentration, à une multitude d’effets sur la santé : dégradation du système immunitaire, perturbations endocriniennes, hypertension pendant la grossesse, risques accrus de cancers, etc. “, énumère Linda Birnbaum. Le tableau se noircit encore lorsqu’on ajoute les sels (chlorures, bromures), les métaux lourds et radioactifs présents naturellement dans les roches-mères argileuses et marneuses (uranium, thorium, arsenic, césium… ) qui peuvent être lessivés par le fluide de fracturation et polluer les eaux.
Les effets sur la santé de l’exploitation du gaz de schiste sont de mieux en mieux documentés. Et apparaissent multiples : naissances prématurées et faible poids des nouveau-nés, asthme, dérèglements du système hormonal, cancers… Une étude menée en Pennsylvanie par Cassandra Clark du Yale Cancer Center et ses collègues vient de montrer que les enfants vivant à moins de deux kilomètres d’un site de fracturation sont deux fois plus susceptibles de développer une leucémie aiguë lymphoblastique, le cancer pédiatrique le plus fréquent, que ceux résidant au-delà. Et le risque triple s’ils ont été exposés in utero. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont analysé les dossiers médicaux de 2500 enfants de 2 à 7 ans, dont 405 diagnostiqués pour cette pathologie entre 2009 et 2017.
Des émissions de gaz à effet de serre plus élevées que prévu
À cet impact environnemental et sanitaire direct s’ajoute un autre, indirect et mondial, au travers des émissions de méthane dans l’atmosphère. Les études menées cette dernière décennie l’attestent : de petites quantités de ce gaz à effet de serre, doté d’un pouvoir réchauffant sur cent ans près de 30 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone, s’échappent en continu par les têtes de puits en raison de défauts d’étanchéité. Des estimations faites en 2015 ont montré que le seul bassin texan de Barnett en perdait quelque 544.000 tonnes par an (l’équivalent de la combustion d’environ 20 millions de tonnes de charbon). Mais ce n’est pas tout.
En France, la récente étude pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement et la société Kayrros a mis en évidence des émissions de méthane bien plus importantes encore, liées aux opérations de maintenance ou aux rejets accidentels des exploitations. “Longtemps, les gaziers ont nié leur existence. Et la rareté des observations ne permettait pas de vérifier. Mais l’analyse des images produites quotidiennement par le satellite Sentinel-5P de l’Agence spatiale européenne de 2019 à 2020 nous raconte une autre histoire, explique Thomas Lauvaux, premier auteur de l’étude. Sur cette période, nous avons identifié quelque 1500 énormes lâchers de méthane, dont une majorité aux États-Unis. Et c’est un minimum, ce satellite ne voyant ni à travers les nuages ni partout sur le globe. Le plus souvent aléatoires, ces lâchers se produisent en général sur un ou deux jours : les vannes sont ouvertes le temps des opérations de maintenance et plusieurs dizaines de tonnes de gaz s’évaporent dans l’atmosphère. “
Le secteur a pourtant tout intérêt à limiter ces fuites volontaires. “Selon nos calculs, les coûts des réparations, du stockage du gaz dans un réservoir ou de la mise en place d’un tuyau de dérivation le temps de ces réparations seraient largement compensés par les bénéfices tirés de la vente du gaz préservé. Mais n’ayant aucune obligation légale de limiter leurs émissions, les gaziers choisissent la facilité, insiste le scientifique. Il est probable que les émissions globales soient au final deux ou trois fois supérieures aux inventaires officiels de l’Agence américaine de protection de l’environnement, fondés sur des estimations. “
Cela met à mal l’argument faisant de cet hydrocarbure un carburant de transition vers une économie neutre en carbone. “Même si nous manquons de chiffres précis, le bilan de la filière aux États-Unis reste probablement inférieur à celui de la filière charbon, mais pas de moitié comme on l’affirme souvent, plutôt de l’ordre du tiers. Ailleurs, au Turkménistan par exemple, où les fuites sont plus massives encore, les bilans des deux filières sont probablement du même ordre de grandeur “, estime Thomas Lauvaux.
Les pays européens ont banni pour la plupart l’exploitation de gaz de schiste : la France en 2011, le Danemark et la Bulgarie en 2012, les Pays-Bas en 2015 et l’Allemagne en 2017. D’autres, comme la Norvège et la Suède, ont considéré cette technique non viable sur le plan économique. Mais, avec la crise climatique et énergétique, le modèle américain fait des émules. Est-il pour autant viable ailleurs ?
Des réserves bien réparties dans le monde
Alors que les réserves de gaz naturel conventionnel sont concentrées dans quelques pays, le gaz de schiste est présent un peu partout sur la planète. L’Agence internationale de l’énergie estime à environ 208.000 milliards de m3 le volume global techniquement récupérable à travers le monde, soit 32 % des réserves totales de gaz naturel. Chine, Argentine et États-Unis abritent les plus grosses réserves. En Europe, c’est la Pologne et la France qui arrivent en tête, avec environ 3900 milliards de m3 . Mais il ne s’agit là que d’estimations. Dans l’Hexagone, les zones les plus prometteuses se situent dans le Sud-Est, entre Montélimar, Millau et Montpellier, dans le Bassin parisien et le Nord-Pas-de-Calais. Mais en l’absence de forages exploratoires, les quantités véritablement exploitables restent inconnues.
Crédit : Bruno Bourgeois
Rien n’est moins sûr. Des investissements colossaux ont été consentis pour en arriver là. Pour les rentabiliser, des secteurs industriels entiers se sont convertis. Les centrales électriques ont ainsi délaissé le charbon pour cette nouvelle source de gaz bon marché. L’industrie pétrochimique produit l’éthylène non plus à partir du naphta, mais de l’éthane issu du gaz de schiste. Mais cela s’est fait au détriment des énergies renouvelables, dont le développement a été stoppé net. “La guerre en Ukraine offre aux États-Unis l’opportunité de relancer les explorations et la production afin de répondre à la demande européenne. Et cela va se faire au détriment du climat, puisque le bilan carbone va nécessairement croître pour liquéfier le gaz, l’acheminer en bateau, le regazéifier “, prévient Thomas Lauvaux.
Exploitation et exploration sont interdites en France depuis 2011
En évitant ces étapes très énergivores, une production locale permettrait d’atténuer la facture. Encore faudrait-il connaître les réserves utiles, c’est-à-dire exploitables à un coût compétitif. En France, cela est tout bonnement impossible puisque la loi Jacob du 13 juillet 2011, confirmée par le Conseil constitutionnel le 11 octobre 2013, interdit l’usage de la fracturation hydraulique pour l’exploitation du gaz de schiste comme pour l’exploration. “Or, celle-ci est indispensable à la connaissance de notre sous-sol. Cette interdiction est injuste et hypocrite puisqu’elle ne nous empêche pas d’en importer des États-Unis “, regrette Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste des questions gazières.
Si les réserves étaient au rendez-vous, cela ne signifie pas pour autant qu’elles seraient exploitables ni rentables qui plus est, à très courte échéance. “La Pologne, par exemple, a fait marche arrière en 2015 à la suite des forages exploratoires et de la révision à la baisse des estimations américaines “, poursuit l’expert. Pour lui, bien que les impacts sur l’environnement et la santé soient indéniables, toute source d’énergie a son revers. “Que ce soit le nucléaire avec ses déchets, l’éolien avec ses besoins en terres rares et son intermittence, le charbon dont la combustion génère de grosses quantités de dioxyde de carbone, etc. Je ne connais pas d’énergie qui soit dénuée de problème. La question est de savoir si nous acceptons de vivre dans le froid et le noir. “
Une industrie particulièrement gourmande en eau
Gilles Pijaudier-Cabot estime pour sa part qu’une exploitation du gaz de schiste en France, et plus généralement en Europe, est difficilement envisageable. “Une grande partie des conséquences évoquées sur l’environnement et la santé est liée à la démultiplication des puits et aux impératifs de rentabilité qui font qu’on les fore à moindre coût. Elles pourraient donc être mieux maîtrisées. En revanche, je suis convaincu que l’emprise au sol de ces puits serait insupportable dans des zones densément peuplées comme le Bassin parisien, par exemple. ” Sans compter les conflits potentiels d’usages autour de l’eau.
Plusieurs villes du Texas ont vu leurs sources s’assécher à cause de l’exploitation du gaz de schiste. Et après la sécheresse historique que l’Hexagone a connue en 2022, il n’est pas certain que la population accepte le développement d’une industrie particulièrement gourmande en eau… Pour Thomas Lauvaux, la vraie question est celle de notre dépendance aux énergies fossiles. “Le risque est qu’un recours massif au gaz de schiste nous empêche d’enclencher une véritable transition énergétique. ” Celle-ci est en effet la seule voie pour tenir nos engagements de baisser de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 avant d’atteindre la neutralité carbone à la moitié du siècle.
Les 6 dangers de la fracturation hydraulique
Des fuites de méthane peuvent provenir de défauts d’étanchéité des têtes de puits (1) et des tubes de forage verticaux (2) ainsi que de la fracturation elle-même (3). D’autres dangers sont liés aux fuites d’eaux usées qui peuvent survenir lors de leur stockage (4) ou de leur réinjection dans les sols (5). Enfin, cette dernière technique augmente le risque de séisme (6).
Crédit : Bruno Bourgeois
Des techniques pour fissurer la roche autrement
Ces dix dernières années, des alternatives à la fracturation hydraulique ont été développées, au premier rang desquelles figurent la fracturation au gaz ou par arc électrique. La première technique consiste à remplacer l’eau par du propane (C H ) ou par sa version non inflammable, le fluoropropane (C H F), deux gaz qui, compressés, sont sous forme liquide. Avantage : ils remontent sous forme gazeuse avec le méthane extrait et sont récupérables à plus de 95 %. Ce type de fracturation ne nécessite en outre pas d’additifs chimiques.
Le principe de la fracturation par arc électrique est tout autre. Il s’agit d’envoyer une décharge électrique dans le puits de forage rempli d’eau, grâce à deux électrodes. Laquelle crée une onde de choc qui fissure la roche-mère. “Explorée à Pau durant les années 2000 par notre laboratoire, cette technique simple a été expérimentée sur un puits, mais elle reste difficile à mettre en œuvre à grande échelle, précise Gilles Pijaudier-Cabot, directeur du projet E2S. Toutefois, aucune de ces approches n’est aussi performante ni rentable économiquement que la fracturation hydraulique.
Le volume de roche accessible à l’extraction de gaz est en effet fonction de la longueur des fissures induites par la fracturation. Et cette longueur est plus grande avec la fracturation hydraulique (une centaine de mètres) qu’avec les autres techniques (quelques mètres pour la fracturation électrique). Si bien que la priorité n’est pas de la remplacer mais de l’améliorer, de comprendre les phénomènes à l’œuvre en profondeur, la façon dont se propagent les microfissures, etc., afin de l’optimiser et d’éviter les accidents (connexion de la fracture à un aquifère, à une couche très perméable, etc.). Un choix industriel logique en matière de retour sur investissement et de prise de risque lié à l’innovation. “
Crédit : Bruno Bourgeois
Par Fabienne Copreaux